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Culture Africaine

LA’AKAM CHEZ LES BAMILEKE OU RITE DE RE-NAISSANCE

Author: Kuate Jean Roger, psychologue, spécialiste des comportements humains

N.B. « Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles des Nations Unies »


Définition du La’akam

Littéralement La’akam signifie « le village du notable », « chez le notable » ou « la concession du notable ». On peut aussi le traduire par le lieu, le village ou la concession ou on fait une démarche pour qu’un problème se résolve. En réalité, dans l’espace géographique qu’on peut designer par le Grassfield (et qui comprend la partie Ouest et Nord – Ouest du Cameroun), lorsqu’un père meurt, il est remplacé par son fils qui va lui succéder et prolonger son nom et ses œuvres. Ceci est vrai à tous les niveaux de la société. Il s’agit d’une société fortement hiérarchisée, au sommet de laquelle se trouve un roi que les colonisateurs ont appelé « chef »,  comme pour le diminuer. Ce roi règne en général à vie. Il est entouré de neuf notables dont certains ont participé directement à son initiation et à son intronisation. A sa mort, il est enterré dans le plus grand secret par des initiés et ses funérailles sont ensuite organisées publiquement dans son village. Au cours de ces funérailles auxquelles assistent tous ses enfants, un de ses fils va être arrêté comme étant son successeur, voilé et immédiatement conduit vers une maison qui est désignée comme le « La’akam ». Choisi par le roi lui-même avant sa mort, en accord avec ses notables qui parfois interrogent l’avenir, le successeur, sera introduit dans ce sanctuaire secret en dehors du palais royal, généralement dans une maison prêtée par un notable. Il y restera neuf semaines en compagnie de certains des notables et de nombreuses jeunes femmes choisies pour être ses femmes. Au sortir de cette retraite, il est attendu, qu’une ou plusieurs de ces femmes soient enceintes du futur roi. Le La’akam constitue donc ce sanctuaire sacré qui hébergera pendant neuf semaines, le futur roi et sa suite qui l’initieront dans l’art de gouverner, lui enseigneront les secrets mystiques du palais royal et lui donneront la puissance héritée des ancêtres. C’est aussi le lieu où se concevra l’enfant/les enfants qui seront les principaux éligibles au trône après le décès de leur père.

Rite d’initiation au rôle de roi

Le prince successeur est emmené au La’akam en compagnie de ses plus proches collaborateurs parmi lesquels ses adjoints et notables, ses femmes et son Kuipou (littéralement, son aide de camp). Le Kuipou est en général un de ses frères consanguins. Dieudonné Toukam dans Histoire et anthropologie du peuple Bamiléké (P.79-80) repris par Teguia Neguim Yannick Franck, Bopda Taffo Christ Wilfried et Talla Guy Gerard1 le décrivent de la manière suivante :

  • « Il est appelé à remplacer le prince héritier, notamment lorsque la stérilité de ce dernier est avérée. Puisqu’il subit la même formation que son frère, il n’y a aucune perte de temps en cas de substitution, et, par conséquent, le programme d’initiation et d’intronisation du nouveau chef est respecté. Il est donc le futur chef du village si le prince héritier, pendant son séjour au La’akam, ne procrée pas.
  • Dans des cas exceptionnels où le prince est retenu comme futur chef en dépit de sa stérilité, le Kuipou sert de paravent [1]au chef pendant son règne, en faisant des enfants en lieu et place dudit chef, mais en toute discrétion car, dans ces circonstances la stérilité du chef n’est jamais dévoilée.
  • Il assure la régence lorsque le chef meurt précocement, en ne laissant que des enfants mineurs.
  • A la demande du chef ou quand celui-ci est moins viril, l’adjoint régule la multiplication de la descendance princière en aidant le chef à faire des enfants avec les nombreuses femmes de la cour.
  • Le Kuipou est le meilleur représentant du chef où qu’il soit : il est le plus digne de confiance, il lui est dévolu plusieurs missions du chef, etc. Il est d’ailleurs aussi nanti de pouvoirs de protection et de vision que lui procure l’initiation du prince. »

En plus du Kuipou, le prince héritier est accompagné d’autres notables tels que le Souop, le Defo, etc, une Mafo, de jeunes femmes de son défunt père, ainsi que d’autres femmes qu’il aura choisi dans sa communauté comme épouses.

Chez les Ngemba

« Dès son entrée au la’Kam, on rase les cheveux du futur Chef à même le crâne, on lui répand sur la tête et les jambes le « Pho », poudre du padouk en disant : Nous, désignatifs et consécrateurs des chefs, agissant toujours selon la justice pour ce qui concerne la succession au trône de la chefferie de ce village, t’appliquons l’onction du sacre et te nommons chef. Que si quelqu’un d’autre intervenait indûment pour te remplacer contre la volonté de ton père, qu’il paye de sa tête, ainsi un autre chef (ceci dépend des relations ancestrales) couvre le nouveau guide d’une cagoule et le fait asseoir sur le nkwo’o kedon (troncs de bananier-plantain), on lui fait avaler le Mbâp Kam (viande de noviciat) pour être puissant.

Chez les Bandjoun

Le chef tire son autorité d’abord de sa légitimité. Il doit en effet être fils de Chef, né sur la peau de panthère, c’est-à-dire quand son père était sur le trône. Il doit avoir été choisi par le défunt chef qui a confié son nom aux « Mkamvu » (notables qui intronisent les chefs). Il doit avoir été choisi et arrêté lors du deuil de son père et conduit au « La’akam » en vue d’y être initié à sa fonction de Chef et aux secrets magiques ; cette légitimité lui confère l’autorité de chef. Il devient le garant de la prospérité et de la suivie de la Chefferie.

Toute tentative d’usurpation pourrait entraîner de graves calamités pour la chefferie. »[2]

En définitive, très peu de personnes sont en mesure de dire exactement ce qui se dit ou se fait dans le cadre du La’akam puisqu’il s’agit d’une initiation ésotérique, réservée aux seuls initiés qui ont un devoir absolu de garder le secret jusqu’à leur mort.

Rite de naissance/renaissance et prohibition de l’inceste

Gestation et développement in-utero du futur roi

Au cours des funérailles du défunt roi, le prince qui deviendra roi, est arrêté, souvent dépouillé de ses vêtements et emmené au La’akam en compagnie de son adjoint, de ses notables ainsi que de ses femmes. L’occasion de cette arrestation au cours des funérailles avec chants, danses et différentes lamentations et festivités rappelle aussi le lieu et les parades des grandes rencontres où se croisent hommes et femmes du village. C’est aussi parfois le lieu du début des grandes histoires qui aboutiront à des rencontres amoureuses et sexuelles pouvant générer une grossesse. L’arrestation du prince pourrait apparaitre comme en fait la rencontre entre l’esprit male et femelle qui aboutissent à une gestation. Cet « étranger » qui est arrêté et masqué n’a encore aucun véritable visage pour la population qui ne le découvrira qu’au sortir du La’akam. Le symbolisme de l’entrée du La’akam avec ses nombreux labyrinthes cachant ce qui s’y passe, aux regards curieux extérieurs éventuels rappelle les secrets des cavités conduisant du vagin jusqu’à l’utérus.

Le La’akam pouvant être assimilé à la matrice de la Nation, il est responsable de la gestation du futur roi naïf et inconscient de ce que représente son avenir et qui subira d’énormes transformations sur le plan spirituel, intellectuel, physique, organique, affectif, social, sexuelles, etc. qui feront de lui un homme capable de se faire accepter et de bien gérer et diriger sa communauté. La gestation ici dure neuf semaines. Le symbole 9 rappelle tout aussi les 9 mois de la gestation jusqu’à l’accouchement. Il est simplement reconnu de tous qu’un roi est en gestation et qu’il sortira du giron du La’akam après son terme pour s’occuper de sa population. Cette attente est aussi anxieuse que celle d’un bebe au niveau de son entourage immédiat et de celui de tous ses sujets. On se questionne sur la qualité du roi qui gouvernera au même titre que le seraient les parents anxieux devant une grossesse très attendue. Le nouveau venu devra opérer un tas de choses pour prouver sa virilité et rassurer la population de la fiabilité de sa postérité en mettant enceinte, au moins une, sinon plusieurs des femmes qui l’accompagne au La’akam. C’est aussi un moment de repos et de méditation en dehors des formations et initiations qu’il revoit. C’est en définitive le moment aussi où il doit apprendre à gérer dans l’équité, ses nombreuses épouses sans tomber dans des conflits dommageables à son équilibre et celui de sa communauté. Le développement d’un fœtus demande tout autant un équilibre entre les aspects cognitifs, affectifs, organiques, physiques, morphologique, conatifs ainsi que l’équilibre avec la capacite à établir la relation avec le milieu extérieur et la transcendance.

Sortie du La’akam, naissance et intronisation : Le roi est né, vive le roi !!!

Au bout de neuf semaines d’initiation, la sortie et l’intronisation du nouveau roi sont un moment de grande joie et de festivités populaires. Il est en général intronisé par un autre roi, venu d’un autre village ami et souvent en présence d’autres souverains du même rang ou alors des vassaux. C’est aussi un moment qui lui rappelle que plus jamais il ne devrait rentrer au La’akam car dit-on, personne ne peut y entrer deux fois sans s’exposer à une malédiction mortelle. Après donc son intronisation, le nouveau roi est complètement qualifié pour exercer son pouvoir.

La’akam et rite de naissance: une ressemblance troublante

Le prince est arrêté pour devenir le futur roi pendant des festivités populaires. Ces festivités se déroulent après l’inhumation secrète et rituelle de son père-roi, sur la place publique du village. Elles regroupent des hommes et des femmes ainsi que des enfants curieux. C’est donc une occasion de rencontre entre hommes et femmes. Comme le feraient aussi un homme et une femme se retrouvant pendant une fête ou une activité populaire du village, nait un amour qui génère un roi. Le futur roi est arrêté au cours des danses, festivités et lamentations. On dirait que cette occasion de rencontre populaire entre les hommes et les femmes du village a généré la fécondation d’un « fils spécial » selon la prescription de l’esprit du défunt et des ancêtres du village. Tel dans une fécondation in-vitro, cet embryon est ensuite introduit dans la « matrice secrète du village », préparée à l’avance par des initiés, agissant comme le feraient des spécialistes de la procréation médicalement assistée. Ce roi-fœtus est donc ainsi introduit avec sa suite – agissant comme placenta/relai entre l’extérieur et le fœtus- dans le la’akam, complétement « dépouillé », symboliquement dénudé de tout autre attribut qui lui appartenait autrefois. Dès qu’il est arrêté, il perd aussitôt ses autres titres, rangs etc. C’est comme un œuf vierge sur lequel seront inscrits de nombreuses capacités et pouvoirs. Son initiation et sa formation sont tout aussi comparables à ce fœtus qui grandit et se développe à l’abri de tous les regards externes. Sa nombreuse cour avec qui, il chemine au La’akam est aussi comparable aux différents organes qui aident l’enfant à se nourrir, à apprendre, à bouger, à écouter les bruits extérieurs, à se structurer et à grandir dans le ventre de sa mère. Ce sont certains de ces accompagnateurs qui servent de relai entre l’extérieur et le fœtus qui grandit dans l’utérus du village. De l’extérieur, tout le village sait qu’au bout de neuf semaines, naitra un roi, un « vrai homme » capable de faire la joie de tous et d’assister toute sa population, un roi au service de sa population et au service duquel tous seront dévoués, même si personne n’a le privilège de le voir grandir. Le village accouchera d’un digne fils, le fils du village qui sera le roi du village. Il est une partie d’eux et eux sont une partie de lui.

Le roi est mort: vive le roi !!!

La sortie du nouveau roi du La’akam est tout aussi semblable à l’accouchement d’un bébé garçon dans la culture du Grassfield. Tout le monde apprend la nouvelle de la naissance d’un petit garçon et adresse des mots de gratitude ainsi que des bénédictions aux ancêtres ainsi qu’au Dieu créateur du village et du monde. Tous et chacun se pressent pour le voir et lui souhaiter longue vie.

La sortie du La’akam peut être assimilée à cette naissance d’un enfant garçon. Le futur roi sort du La’akam sous les ovations et les acclamations de sa population venue nombreuse sur la place publique du village.  Son intronisation est le moment solennel de cette sortie au cours de laquelle la population est présente et chacun se presse pour voir le nouveau souverain et lui faire allégeance. Il est presque “soulevé” tel un trophée et ovationné. Il est en même temps la fierté de tous et il est aussi craint de tous.

Le La’akam aura été son antre secret qui lui aura permis son developpement et sa croissance et d’être plus puissant que chaque membre de sa population, mais aussi d’apprendre que cette puissance n’est rien sans la force de sa population. Son développement dépendra de l’essor de sa communauté qui par ailleurs dépend de sa population. Son initiation lui aura appris à devenir petit. Ne dit-on pas que pour devenir un grand, il faut d’abord apprendre à être un petit ? Ce devoir d’humilité qui est à la base de toute grandeur apparait comme une des qualités essentielles de tout roi en pays Bamiléké et dans tout le Grassfield. Les rapports harmonieux entre un enfant et ses parents qui favorisent sa croissance et son développement vont aussi se voir entre le roi et sa population qu’il sert et dont il dépend étroitement. Ce rapport fusionnel va lui permettre de maintenir un vibrant équilibre, véritable moteur de développement communautaire et d’épanouissement individuel de ses sujets.

Personne ne parlera plus du La’akam jusqu’à son décès. Mais ce giron “maternel” qui l’a vu grandir jusqu’à sa naissance est tout aussi couvert d’un énorme tabou : le roi et tous ceux qui y ont été sont interdits d’y retourner. “On n’entre pas deux fois au La’akam” dit un sage du village Bandjoun.

Le La’akam apparaissant comme lieu de formation, d’initiation et de développement du prince en voie de devenir roi, il ressemble étrangement à la matrice de la femme qui, ayant accueilli le fœtus, permet sa croissance et son épanouissement jusqu’à la délivrance.  Une fois sorti du sein de sa mère, l’enfant garçon a un énorme tabou par rapport à sa mère : c’est l’interdit de l’inceste. Il lui est strictement interdit de rentrer d’où il est sorti sous quelque forme et prétexte que ce soit ; de même qu’il est interdit au roi de rentrer une seconde fois dans l’antre mystique qui l’a vu se développer et devenir roi.

C’est en cela que le processus d’arrestation, d’initiation et d’intronisation d’un roi dans le Grassfield s’apparente étrangement au processus de conception, de gestation et de naissance d’un enfant male.

« A la sortie du La’akam, le chef est nettoyé de toute sa vie passée. Vêtu de vêtements royaux, il est investi devant son peuple tout entier dans des danses et des chants de joie »[3].

En définitive, dans les différentes cultures du Grassfield, le roi qui décède est remplacé par un de ses fils, qui, une fois désigné est arrêté pour être symboliquement tué par sa communauté. Tout se passe comme s’il plongeait dans le royaume des morts pour y puiser des secrets de la vie et renaitre plus fort et plus puissant. L’homme ou le garçon qu’il a été avant cette date sera effacé au cours d’un processus rituel d’initiation pour laisser place à un enfant qui, symboliquement va grandir en neuf semaines et laisser place à un homme capable de prendre soin non plus seulement de lui seul et de sa famille, mais de tout un peuple. Sa sortie apparait comme une naissance ou une résurrection. Ce symbole de résurrection est comparable à certains égards à celui du christianisme dans lequel Jésus est mort, a été inhumé et a resuscité après quelque temps. C’est d’ailleurs cette résurrection qui reste l’un des plus grands mystères qui fait sa supériorité et toute sa puissance sur son peuple. De même le roi qui revient après cette plongée dans le La’akam apparait à tous, comme un être très puissant et même tout-puissant qui a affronté de nombreuses épreuves et qui en sort vainqueur, ce qui le place au -dessus de son peuple. Mais malgré sa puissance, le nouveau roi reste un homme qui dépend étroitement de sa population sur qui il veille quotidiennement. Il reçoit des honneurs, des conseils, des ressources de sa population et redistribue ces ressources à cette même population en cas de besoin. Le lien ombilical entre cette population et son roi autant qu’entre un fils et sa mère oblige le roi à être juste avec sa population et à ne pas violer certains interdits sans courir le risque de tomber sous le coup des sanctions qui entourent des rapports de type incestueux. Son peuple, à travers le collège des notables peut décider de le destituer au pire de cas et constituent ainsi un contre-pouvoir préventif aux abus éventuels du roi. La bonne gouvernance d’un roi dans l’espace Grassfield est ainsi régulée par un équilibre bien organisé entre ce dernier et ses sujets représentés par le collège des notables ainsi que par le regard permanent et bienveillant des ancêtres et du Dieu – Créateur du village qui veillent sur lui et sur toute sa communauté. Ce regard posé par sa communauté, ses ancêtres et le Dieu Suprême sur lui, l’emmènent à rester un roi juste vis-à-vis de sa population.


Réferences

[1]L’initiation au lâ’kam en pays bamiléké dans l’ouest Cameroun, http://pitti.over-blog.com/2016/12/l-initiation-au-la-kam-en-pays-bamileke-dans-l-ouest-cameroun.html

[2] Cameroun : les chefferies et la sorcellerie chez les Bamiléké, http://www.refworld.org/docid/3f7d4d713b.html

[3] Chefferies Bamilékés: http://www.fabula.org/colloques/document2099.php

Bibliographie

  • Article de Michel Ferdinand in Mutations. Cameroun: Tradition – La chefferie à l’épreuve du « La’akam », 27/8/2009

2 réponses sur « LA’AKAM CHEZ LES BAMILEKE OU RITE DE RE-NAISSANCE »

Effectivement, ce jeu se fait dans la plus grande confidentialité pour preserver l’autorité et la puissance du Roi. En definitive c’est l’une des raisons pour lesquelles il n’existe pas de « Roi sterile » dans la culture Bamileke.

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