Par: Kuate Jean Roger. Psychologue et spécialiste des comportements humains
Pour les scientifiques, « la terre est une planète constituée essentiellement de roches et son noyau est métallique. Sa taille et sa masse font d’elle la plus grande des quatre planètes du système solaire. Elle est probablement la seule planète tellurique divisée en plaque tectonique »[1].
Généralement, la terre désigne la planète qui abrite les êtres humains et tout ce dont ils ont besoin pour vivre. La terre désigne aussi le sol, ce sol sur lequel l’être humain marche et vit. Ce concept est aussi souvent utilisé pour parler des espaces sur le sol, des parcelles allouées à des gens, sur lesquelles ces personnes peuvent construite leur maison, cultiver le sol pour en obtenir leur nourriture, y trouver de l’eau, y enterrer leurs morts etc.
Dans le cadre de cet article, nous entendrons par terre, le terrain, l’espace vital des humains comprenant le terrain et tout ce qui s’y trouve de naturel comme l’eau. Les arbres et tout l’écosystème de cet environnement particulier et délimité.
Chez les peuples du Grassfield à l’Ouest du Cameroun, « Sii-Tcha’a » désigne la terre. C’est aussi le monde terrestre qui accueille l’être humain, puisqu’il est communément admis que l’être humain a une existence terrestre matérielle et une existence immatérielle et spirituelle après la « mort de son corps ». Tout ce qui contribue à la vie et au développement de l’homme se retrouve sur la terre. Les peuples sont aussi caractérisés par leur appartenance à un espace terrestre précis. C’est ainsi qu’on dira que telles terres appartiennent à tel ou tel autre groupe ethnique ou a tel peuple particulier. Dans nombre de cultures africaines, les terres autrefois étaient un bien collectif dont jouissaient les membres de la communauté. Ils y trouvaient l’espace pour construire leur abri, trouver leur pitance quotidienne, procréer et éduquer leurs enfants, et organiser leur vécu.
Avec le « développement » et l’avènement du monde d’aujourd’hui caractérisé par le capitalisme dont l’individualisme en est l’essence, des gens se sont appropriés des parties d’un territoire et en sont devenus « propriétaires ». D’autres le vendent au point ou les Etats et les collectivités en délivrent les titres de propriété foncière.
De Kinshasa à Yaoundé, de Accra à Johannesburg, les chroniques judiciaires placent les conflits fonciers au centre des principales causes des plaintes dans les tribunaux. Les disputes foncières prennent de l’ampleur et nous rappellent que la terre est devenue de nos jours, un véritable business. Cela nous emmène à nous interroger sur le sort des businessmen de la terre.
LES BUSINESSMEN DE LA TERRE
L’héritage foncier était l’un des meilleurs cadeaux qu’un parent faisait à ses enfants, puisque la terre permettait à sa descendance de construire leur abri, de se nourrir, d’avoir un espace vital pour se développer et pour mourir et vivre après la mort. Avec le capitalisme mondial actuel de nombreux vendeurs de terrain sont nés. La plupart de villes africaines ont fleuri dans le sillage de ce genre « d’hommes d’affaires ». Les businessmen sont en général les « propriétaires-vendeurs de terre », les topographes, et tous les intermédiaires qui se retrouvent dans le circuit de vente. Certains se sont affublé le titre tonitruant de « propriétaire terrien » et ont souvent vendu les parcelles appartenant à leur famille ou à la communauté entière sans même se soucier de l’avenir de leur propre descendance. Au vu des montants de plus en plus exorbitants encaissés par ces « hommes d’affaire », on est tenté de penser qu’ils seraient très riches. Le constat transversal dans différents pays du monde montre que c’est rarement vrai. Malheureusement nombre de vendeurs de terres se retrouvent souvent dans une misère indescriptible malgré de fortes sommes d’argents reçues. A Libreville comme à Goma, les vendeurs de terrain finalement se ressemblent beaucoup en raison de leur pauvreté. Comment expliquer que cet argent leur file si facilement entre les doigts après l’euphorie de la vente des terres ?
LA MALEDICTION DE L’ARGENT DE LA TERRE ET SA SIGNIFICATION
Sur le plan scientifique, il est clairement établi que, de la conception à la naissance jusqu’à la vieillesse de l’être humain, tout ce qui lui permet de se nourrir et de grandir vient de la terre : l’eau, la nourriture et toutes les ressources qui participent à la croissance et au développement. La terre est donc la source de tout élément qui constitue l’humain. Les éléments constitutifs de la vie humaine proviennent donc de la terre. De ce fait, on pourrait alors dire que l’homme n’est qu’un constitutif ou un élément de la terre. On pourrait vite anticiper en disant que l’être humain est fait de terre comme pensent les chrétiens. S’il est fait de terre, il est aussi nourri par les produits provenant de la même terre. Ainsi, la terre est comparable à une mère qui nous apporterait tout ce dont nous avons besoin pour notre développement. Elle est aussi un habitacle pour les humains vivants ou morts. Ils y habitent pendant leur vie matérielle (au-dessus) et rentrent dans la terre (en dessous) après leur mort. Dieu est appelé « Sii » chez les peuples du Grassfield alors que « Sii -Tcha’a » désigne la terre. Parfois, Sii désigne aussi la partie d’en bas, le sol, la terre. C’est à penser que dans cette culture du Grassfield Dieu et la terre se confondent. En effet, si nous admettons que l’homme origine de la terre, se nourrit des produits de la terre et retourne après sa mort dans la terre, il peut être admissible par déduction que la vérité divine est dans la terre. En parlant de l’origine des « Cieux » en tant que règne de Dieu comme disent les chrétiens, il pourrait apparaitre plus plausible de la situer dans la terre. La terre apparait en définitive comme le lieu d’origine de l’homme, ce qui lui permet de vivre, de se développer et enfin son lieu de repos après sa « mort » physique. Ce lieu commun donné gratuitement à l’être humain, aux animaux et plantes pour se nourrir, grandir, vieillir et mourir reste donc un patrimoine collectif commun dont chacun devrait prendre soin et le protéger pour la jouissance de tous maintenant et après. Ce patrimoine est un leg qui nous provient des générations précédentes.
En analysant la vente de la terre, on pourrait dire que certains se sont appropriés un bien communautaires collectifs pour leur intérêt individuel. L’avènement du monde capitaliste actuel a exacerbé l’appropriation des terres sur la planète.
Vendre la terre apparait donc comme vendre l’être humain, vendre la mère nourricière, vendre Dieu et son habitacle. Cela nous rappelle les pratiques esclavagistes qui consistait a vendre des humains a d’autres humains afin qu’ils s’en servent a leur guise. La vente d’être humain étant interdite sur le plan humain, éthique et spirituel, le vendeur apparait comme un trafiquant, un malhonnête qui devrait être en prison ou à défaut ostracisé.
Vendre la « mère nourricière » est une véritable malédiction quelqu’en soit la société ou la culture d’appartenance.
Si la Terre est l’Alpha et l’Omega de l’être humain et de tout ce qui le nourrit il est compréhensible que certains la désigne comme le lieu où se trouve Dieu. Par conséquent, vendre la terre signifierait vendre Dieu, vendre l’habitacle de Dieu, vendre ce qui nous a créé, ce qui ne serait acceptable dans aucune religion au monde.
De ce point de vue, la vente de la terre n’offre aucune bénédiction pour la réussite du vendeur ni de sa famille. Cet acte apparait plutôt comme une véritable malédiction. Voilà pourquoi il n’est pas surprenant de voir des vendeurs devenir alcooliques et de s’égarer dans des vices insoupçonnés. C’est ainsi que le constat d’un étudiant en topographie est de relever que de nombreux topographes dans de nombreux pays au monde se retrouvent en prison. Par exemple à Kinshasa, Douala, Bafoussam, Bangui, Kampala etc. les conflits fonciers sont généralement en tête des affaires jugées dans leurs cours et tribunaux.
LA TERRE EST DONC LE LIEU QUI HEBERGE LES VIVANTS ET LES MORTS
Selon la conception judéo-chrétienne, l’homme vient au monde-sur la terre- et va mourir en attendant le jugement dernier au cours duquel les uns et les autres seront resuscités pour être jugés. Cette même conception dit que l’homme est issu de la terre et finira sa course en redevenant terre. Les théories ancestrales africaines pensent en général la même chose. Pour cette raison, le respect de la terre et des éléments qu’elle héberge en plus de l’être humain, tels que les oiseaux, les animaux, les plantes, l’eau etc. bénéficient d’une attention et d’un respect particulier dans les traditions ancestrales africaines en général. Par exemple il était autrefois interdit de tuer un animal qu’on ne mangeait pas à moins qu’il constitue une véritable menace pour les humains. De même pour couper un arbre, la personne devait demander la permission de cet arbre et lui expliquer la raison pour laquelle il voulait le couper. Il était ainsi entendu que l’homme n’était pas seul être vivant sur la terre et qu’il n’avait aucune raison d’abuser des autres êtres qui l’entouraient. Ainsi, la terre était considérée comme un patrimoine collectif pour les humains et tous les autres êtres vivants qui généralement lui permettaient de vivre et d’exister. Autant que la terre il était demandé par les ancêtres de respecter ces êtres qui accomplissent la vie de l’homme sur terre et qui sont la parce qu’ils font partie de la création autant que l’homme. La vente de la terre suppose donc que l’homme en est propriétaire, ce qui n’a jamais été le cas. Chacun a juste hérité de la terre et devrait se contenter d’en user pour son existence sans en abuser, ni la vendre.
VIE SOCIAL ANCESTRALE ET REPARTITION DES TERRES
Dans l’Afrique ancestrale, il a existé des guerres pour la terre et ces combats étaient affreusement mortels. En revanche, de nombreux villages avaient en général des traditions de bon-accueil pour les étrangers qui ne constituaient aucun danger pour la communauté. Un étranger pouvait facilement s’installer dans une communauté s’il était clair qu’il était bon, bienfaisant ou travailleur. Souvent le chef d’une famille ou d’une communauté l’installait simplement. « Installer » un individu était très courant. Il pouvait s’agir d’un jeune qui commence à entrer dans «la « case des adultes » ou d’une personne étrangère a la communauté. Cette installation consistait a lui montrer un espace ou la personne a le droit de bâtir sa maison et même souvent de cultiver pour nourrir sa famille. Souvent la personne qui bénéficiait de cette installation devait donner quelque chose en reconnaissance de cette installation : cela pouvait être de l’argent, des objets, sa force de travail etc… Mais il était clair qu’il n’avait pas acheté cette portion de terre, mais qu’on l’avait installé. A son tour il pouvait installer sa progéniture et même peut-être d’autres personnes dans certaines circonstances avec l’accord des responsables de la communauté si son espace le lui permettait. Mais en aucune circonstance il ne pouvait se constituer comme propriétaire et céder une partie de ce territoire à une tierce personne sans l’accord des membres de la communauté qui l’ont installé. De même le/les responsable/s de la communauté ne pouvaient marchander leurs terres qui selon eux étaient réserver à faire croitre leur descendance.
Ainsi, la vente de la terre apparait davantage de manière très criarde avec le monde capitaliste caractérisé comme dit Karl Marx par le « ceci est à moi ».
En définitive, la terre n’est ni à vendre, ni à détruire. Elle est notre origine ainsi que l’origine de tout ce qui nous constitue et nous fait grandir et vieillir jusqu’à la mort. Elle est enfin notre habitacle après notre mort : nous devons la respecter et la protéger. Notre cupidité et notre vanité dressera toujours la terre contre nous-même. Vendre la terre enfoncera toujours l’homme dans la pauvreté parce que cet acte est exactement synonyme de vendre votre propre mère qui vous a enfanté, nourri jusqu’à votre dernier jour. Cela est tout simplement porteur de malédiction.

2 replies on “BUSINESS DE LA TERRE ET MISERE DES VENDEURS: COMMENT COMPRENDRE LA PAUVRETE DES COMMERCANTS DE LA TERRE?”
Nous pensons que cette malédiction de la terre a une signification réelle mais relative en même temps au regard de l’observation des caractéristiques communes à ceux qui la manipule. Ce raisonnement devrait s’étendre également aux produits dérivés de la terre comme les differents minerais et leur corollaires .
C’est sans doute l’origine des différents sinistres et conflits qui arrivent dans les zones dorées de ces richesses matérielles du sol.
Cependant au regard de tout ce qui précède la question de la gestion de ces biens se posent en terme d’un nouveau paradigme car si l’approche de gestion qu’on en fait jusqu’ ici renvoie à la pauvreté et aux conflit, la monnaie demeure le seul moyen d’échange entre les peuples , les individus ou les nations depuis que l’homme a quitté l’etat de nature pour la culture.
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Jean Michel, tu fais bien d’etablir le parallele avec les produits du sous-sol qui eux aussi appartiennent a la terre dont nous parlons.
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